Le vin de pays charentais : la renaissance
Le vignoble Charentais, qui s'étend sur les deux départements de la Charente et de la Charente-Maritime, est surtout connu pour le cognac. Cependant le vin charentais est beaucoup plus ancien que l'eau de vie.
Vous reconnaîtrez à la partie enherbée entre chaque rangée que cette parcelle est cultivée en bio, sans désherbant. Savez vous pourquoi on plante des rosiers au début de chaque rangée de vigne ? Ce n'est pas simplement pour faire joli... Les viticulteurs qui me lisent lassent jouer les autres. Il n'y a rien à gagner, à part la joie d'avoir participé. Laissez un commentaire en cliquant en bas de ce message.
Splendeur et oubli
Déjà à l'époque Gallo-Romaine, on se délectait du vin de Saintonge (région de Saintes), puis de l'Aunis (région de La Rochelle). Ensuite, au Moyen-Age, lorsque le vignoble de développa grâce aux évêchés, ce fut un vin réputé. Durant la Guerre de Cent Ans, les Anglais ne le dédaignèrent pas non plus. Ainsi, lorsque les Charentais devinrent les sujets de Henri II Plantagenêt, leur vin connut d'immenses débouchés vers l'Angleterre et d'autres pays de la Mer du Nord, dont la Hollande. Cette prospérité dura jusqu'au XVIII° siècle. Au XVII° siècle, les vins d'Aunis étaient réputés parmi les meilleurs vins blancs, Olivier de Serre en fait l'éloge. Les Hollandais étaient de grands importateurs de vin charentais, mais à cette époque, vu les conditions de transport, le vin arrivait à destination très souvent à l'état de... vinaigre. Pour le rendre quand même buvable, on n'aimait pas le gaspillage à l'époque, on le distillait à l'arrivée, ce qui donnait le "brandwein", ou "vin brûlé", c'est ce mot hollandais qui donna "brandy". C'est au XVIII° siècle qu'on eut l'idée de le distiller non pas à l'arrivée à Anvers ou à Londres, mais au départ, dans la région de Cognac... Et ça explique la raison pour laquelle de grandes maisons de Cognac sont d'origine anglaise ou irlandaise (Martell, Hennessy...).
Ceci fit la renommée de la région, mais pour autre chose que la qualité de son vin. Car pour faire du cognac, il n'est pas besoin d'un grand cru. Un vigneron nous a raconté un jour qu'il avait essayé de distiller du Chateau d'Yquem, par curiosité, pour voir. Oui, je vous ai senti frémir en lisant cela, et dans l'assistance nous avions poussé un cri aussi. Je vous rassure, seule une petite quantité y est passée, d'une année déclassée, c'était pour faire une expérience. Eh bien il parait que le cognac obtenu fut de piètre qualité, c'est qu'il faut un vin avec une certaine acidité et peu de degré alcoolique. Les merveilleux parfums du sauternes ne se transmettent pas du tout après la distillation. Bref tout cela c'est pour vous expliquer que le vin charentais n'était pas à ces époques d'une superbe qualité, c'est peu dire. De plus, la crise du Phylloxéra au XIX° siècle mit le coup de grâce à de nombreux vignobles qui ne furent jamais replantés.
1980 : la vie après l'eau-de vie
C'est au début des années 1980, alors que le Cognac connaissait une baisse de popularité en France, que les vignerons eurent l'idée de revenir à leurs racines : le vin "de bouche". Après trente ans d'efforts, ils parvinrent à obtenir l'IGP en 2009, soit le label européen d' "indication géographique protégée", ce qui correspond à l'ancienne AOC au niveau français. Aujourd'hui ce vignoble s'étend sur 1500 hectares et occupe 600 vignerons. Il y a fallu tout un travail de recherche pour retrouver les anciens cépages régionaux, qui avaient été oubliés, et même parfois perdus, pendant plusieurs siècles. Les cépages utilisés au XVII° siècle étaient le Chemère ou Chauché gris en blanc , et le chauché noir en rouge. Après plusieurs années d'exploration, on parvint à identifier plusieurs souches de chauché en Charente. C'est un cépage apparenté au trousseau du Jura. J'ai ainsi appris qu'il y a des gens dont c'est le métier de sillonner les routes en scrutant la végétation, afin de retrouver quelque part sur un talus ou dans une haie des exemplaire survivants d'anciens cépages... C'est ainsi qu'on a retrouvé 4 cépages totalement inconnus, jamais étudiés par la science. Ils sont sans doute une survivance de l'ancien vignoble médiéval français.
Le pineau d'Aunis fait partie des anciens cépages locaux. Il est aussi utilisé dans les vins d'Anjou. L’orthographe du nom, qui est différente de la finale et "ot" du pinot noir de Bourgogne, par exemple, rappelle celle du pineau des Charentes. C'est que pineau est un mot de l'ouest et pinot de l'est de la France. En ancien français la prononciation des deux mots était différente.
Des cépages oubliés depuis le Moyen-Âge
Le résultat de ce travail peut se voir au Conservatoire du Vignoble Charentais, à Cherves-Richemont. Une collection ampélographique comporte les 69 cépages utilisés historiquement dans les Charentes, ainsi que d'autres cépages français. Il y a même des lambrusques, c'est à dire des vignes sauvages originaires des Charentes. Un atelier de mini-vinification (sur de très petites quantités) sert à faire des expériences de vinification sur ces cépages oubliés. D'autres expériences grandeur nature ont lieu dans des exploitations viticoles. Le Chauché vient juste d'être inscrit au catalogue des espèces depuis juin 2011. Les vignerons pourront donc planter dès cette année ce cépage qui n'avait plus jamais été cultivé depuis l'époque médiévale, mais il faudra attendre un peu pour boire la première récolte !
Les mini cuves de vinification sont mignonnes par rapport aux immenses cuves de plusieurs centaines de litres qu'on voit habituellement chez les vignerons ! Sur la photo ci-dessous, on ne voit pas l'échelle, mais elles font 80 centimètres de hauteur à peu près. Ce qui est impressionnant, c'est que si on vous offre de goûter un de ces vin expérimentaux et qu'on en ouvre une bouteille, vous pouvez avoir un quart de la production totale !
Parmi les vins produits aujourd'hui dans la région, on trouve des rouges, des rosés et des blancs. En rouge, ils sont à base de Cabernet-Franc, Cabernet-Sauvignon, Gamay, Merlot, et parfois Pinot noir. J'en ai goûtés de très aromatiques. En rosé, issus des mêmes cépages, ils sont frais et fruité, fraises et bonbons de coquelicots, agréables pour un repas d'été.
En blanc, ils proviennent des cépages Chardonnay, Colombard et Sauvignon, ils sont fruités à souhait, agrumes, pêche et abricot, et bien secs sans être acides. On les aime avec tous les poissons, les huîtres, les coquillages.
Voici mes bonnes adresses, si vous passez cet été dans le pays charentais, allez leur rendre visite.
Pascal Gonthier se dit "artisan vigneron". J'ai bu chez lui un merlot 2009 "l'Héritage d'Aliénor" tout en ampleur, nervosité et puissance.
Le domaine Pierrière-Gonthier (CLIC)
Impasse Des Marins
Nigronde
16170 Saint Amant De Nouère
Tel : 05 45 96 42 79
Deux frères, Eric et Marc Hausselmann, sont des pionniers de la reconversion en vin de pays.
Le domaine de la Chauvillière (CLIC)
2, chemin de la chauvillière
17600 Sablonceaux
Tel: 05 46 94 44 40
Un jeune viticulteur passionné, Jonathan Guillon, vient de reprendre le domaine familial qui était à la fois ostréicole et vinicole.
Le Domaine des Claires (CLIC)
2, rue des tonnelles
17530 Arvert
Tel : 05 46 47 31 87
Sophie Blanchard vinifie en bio. « la santé et l’environnement, c’est bien, dit-elle, mais l’objectif est surtout de faire du bon. Aujourd’hui nous avons un terroir qui s’exprime pleinement ». C'est sa vigne qui est photographiée en haut de ce billet avec le rosier.
Domaine Brard-Blanchard (CLIC)
1 Chemin de Routreau
16100 Boutiers-Saint-Trojan.
Tel : 05 45 32 19 58
(à suivre)